Le 17 janvier, la Commission des sondages a convoqué, dans ses locaux du conseil d’Etat, les responsables des principaux instituts. La demande d’explication portait sur la pertinence de leurs échantillons pour sonder les intentions de vote aux élections municipales. Au-delà des soupçons récurrents (et pour la plupart infondés) de manipulation de l’opinion, une vraie question d’ordre méthodologique se pose aux entreprises d’enquêtes d’opinion. Les 18-24 ans y sont surreprésentés alors que leur inscription réelle sur les listes électorales est faible et qu’ils votent, par ailleurs, nettement moins que leurs aînés le jour du scrutin. le sérieux de la représentativité des fameux «quotas» est dès lors posé.
(Par Jean-Yves DORMAGEN (professeur de sciences politiques à l’université de Montpellier I, fondateur de l’Observatoire du changement politique et Jérôme SAINTE-MARIE président de l’Institut Polling Vox, enseignant à l’université Paris Dauphine)
La réponse à ces questions n’a pas seulement un intérêt scientifique, mais aussi une implication politique directe. En effet, si, comme lors des élections municipales de 1983 et de 2001, les sondages surestimaient le niveau d’intentions de vote en faveur de la gauche, ils seraient ensuite mis en cause pour avoir suscité une confiance excessive parmi les candidats de celle-ci, et un déficit de mobilisation parmi ses électeurs. Or, deux points de méthodes font craindre qu’il y ait un défaut de représentativité majeur dans la production courante des sondages préélectoraux.
Le premier problème tient à la manière dont les sociétés de sondage construisent leurs échantillons. Pour établir les quotas censés garantir la représentativité de leurs études, elles partent des données du recensement de la population résidant dans la commune telles que les fournit l’Insee. Or, il existe un écart parfois considérable entre la structure sociodémographique de cette population et la structure du corps électoral. Sans même parler de l’inclusion abusive dans ces quotas des étrangers n’ayant pas le droit de vote aux élections locales, il y a une évidente déformation de la structure par âge de l’électorat. Par exemple, dans de nombreuses grandes villes universitaires (Toulouse, Bordeaux, Montpellier, etc.), les 18-24 ans constituent plus de 20% de la population, mais ils ne représentent que moins de 7 % des inscrits sur les listes électorales. En d’autres termes, les sociétés de sondages incluent trois fois trop de 18-24 ans dans leurs échantillons. A l’inverse, les seniors y sont sous-représentés par rapport à leur poids réel sur les listes électorales.
Cette erreur méthodologique n’est sans doute pas sans conséquence sur le plan des résultats. On sait que les 18-24 ans votent sensiblement plus pour la gauche et le FN que la moyenne des électeurs. En travaillant à partir d’échantillons non représentatifs de la population électorale au sein desquels les plus jeunes sont largement surreprésentés, les sociétés de sondage prennent inévitablement le risque de surestimer le vote de gauche et, peut-être plus encore, le vote Front national. C’est pourquoi les études préélectorales que nous avons récemment réalisées pour Libération à Marseille, Bordeaux et Montpellier reposaient sur des échantillons établis directement à partir de la liste des inscrits.
Le second nœud méthodologique tient à la mesure de la participation. Les sondages souffrent ici d’une réelle difficulté : la grande majorité des sondés déclarent qu’ils vont aller voter. En général, ce sont autour de 80% des interviewés qui se déclarent «certains d’aller voter», alors qu’ils ne seront au final que 55% ou 60% de votants effectifs. Cet écart soulève un problème majeur : les futurs abstentionnistes, qui le plus souvent s’ignorent ou parfois le dissimulent, se répartissent-ils également dans l’espace politique ou sont-ils surreprésentés à l’intérieur de certains courants politiques ? S’ils se répartissent également entre les forces politiques, cela n’affecte pas le caractère prédictif des sondages. A l’inverse, s’ils sont surreprésentés au sein de certains segments de l’électorat – parmi les anciens électeurs de François Hollande, par exemple – alors les sondages sous-estimeront les effets politiques de l’abstention. Ils pourraient ainsi passer à côté d’une «abstention sanction» qui pénaliserait les listes socialistes lors des scrutins à venir.[…]
http://www.liberation.fr/politiques/2014/01/30/pourquoi-les-sondages-sont-ils-si-peu-representatifs_976734